Décriés pour leur peu de conscience écologique, de plus en plus d’influenceurs prennent la mesure de leurs responsabilités et profitent de leur aura pour sensibiliser aux enjeux du développement durable. C’est le cas d’Anthony Verlaine. Portrait de cet explorateur-influenceur engagé.

Anthony Verlaine, the French Adventurer

Sur notre podcast Le Vert à Moitié Plein et sur ce blog, nous aimons vous présenter des explorateurs et influenceurs “voyage” engagés dans une démarche responsable. 

Nous avons rencontré Anthony Verlaine, aka @Frenchadventurer sur Instagram, qui nous narre son parcours atypique et les dégradations environnementales constatées lors de ses expéditions.

Un enfance dans les quartiers sensibles

Ses premières aventures, Anthony Verlaine les fait dans les quartiers difficiles de Grenoble, où il a grandi. 

“Ma passion du voyage, je crois qu’elle est née d’une frustration. Celle de vivre à Grenoble, entouré de montagnes, mais de ne pas pouvoir y aller par manque de moyens”.

Alors pour compenser, le jeune aventurier escalade les barres d’immeubles, grimpe aux arbres… et passe beaucoup de temps devant la télé, à rêver devant les documentaires de Nicolas Hulot et du Commandant Cousteau. Quand on lui demande le métier qu’il veut faire plus tard, la réponse inquiète ses proches : “Nicolas Hulot”. 

©Anthony Verlaine

Changer de classe sociale et sauver le monde

“J’ai eu cette chance de réaliser assez tôt que je ne ferai pas mes voyages autour du monde en vendant de la drogue. En terminale, il y a eu l’homicide de trop parmi mes connaissances. Alors, quelques mois avant le bac, je me suis mis à travailler pour faire les études les plus difficiles; et qui en même temps, me feraient voyager : relations internationales, diplomatie, sciences politiques, géopolitique. J’ai été admis grâce à une bourse au mérite et je suis parti étudier au Canada, à Paris et aux Etats-Unis”. 

Une opportunité qui permet à Anthony Verlaine de se spécialiser sur des problématiques qui lui tiennent à cœur : la discrimination faite aux minorités et la géopolitique environnementale. Il réalise sa thesis sur les conflits liés à l’eau à Las Vegas. La thesis est publié. Bref, la belle revanche d’un aventurier qui a pu passer les frontières sociales (PASCALI P.).

©Anthony Verlaine sur les bancs de l’ONU

L’aventure engagée : sensibiliser aux enjeux environnementaux

“A la fin de mes études, j’ai eu la chance d’être contacté par des gens qui travaillaient à la Défense, au Ministère des Affaires Étrangères et d’autres institutions. Petit à petit, j’ai pu graviter autour d’eux et travailler sur des zones de conflits.”

Anthony devient jeune diplomate en Namibie, travaille à l’ONU, à l’Assemblée Nationale… Un parcours sans faute. Jusqu’au jour où il est gravement blessé lors d’un déplacement à l’étranger et est forcé de tout arrêter… pour le mieux. “En faisant ces études, je voulais rendre le monde meilleur. D’un mois à l’autre, nos amis devenaient nos ennemis et vice versa… Tout était lié à des conflits d’intérêt, à du gaz, à des ventes d’armes… Après ma blessure, j’ai décidé de tout plaquer pour aller marcher. Faire le tour du monde. Sans projet”. Ce périple qui devait durer quelques semaines s’est finalement prolongé sur plusieurs années.

©Anthony Verlaine

Premières aventures et premiers contrats

Pour cette  première grande aventure, Anthony se fixe deux conditions :

  • Ne pas utiliser de moyen motorisé pour se déplacer et donc utiliser la marche, le vélo, le kayak, le ski, la traction animale et un peu de stop. 
  • Parler à tous les gens rencontrés sur la route. Savoir qui ils sont, quelle est leur histoire, apprendre leur métier…

En bref, voguer au gré des rencontres, sans projet particulier.

En 2015, Anthony Verlaine devient The French Adventurer et commence à poster ses aventures engagées sur Instagram.

A cette époque, le concept de tourisme durable existait déjà mais était beaucoup moins médiatisé qu’aujourd’hui. L’immense majorité des influenceurs voyage n’étaient pas engagés sur le sujet. Depuis, beaucoup ont évolué et partagent désormais des aventures plus sobres, mais il faut se dire qu’à l’époque, Anthony était une sorte d’ovni sur Instagram !

Parapente à Forclaz ©Anthony Verlaine
Château de Menthon ©Anthony Verlaine

“Attention, je ne suis pas parfait” nuance tout de même l’influenceur. “Quand on commence à vivre de l’influence, on a de plus en plus de contraintes de temps, de sponsoring. Je n’ai plus la même liberté qu’avant où je prenais mon temps  pour voyager sans moyen motorisé. En Europe, je prends toujours le train, mais à l’international, c’est plus compliqué.”

Si le sujet du rôle des influenceurs dans la transition écologique vous intéresse, nous y avons dédié un épisode de podcast avec le collectif Paye Ton Influence. 

Au cœur des dégradations environnementales 

Pour cet article, ce qui nous intéressait, c’était de demander à Anthony de nous partager les dégradations environnementales constatées au cours de ses expéditions. 

Cela permet de voir que le voyage, bien que polluant, permet de témoigner de la dégradation de la planète, devenant ainsi un outil de sensibilisation. 

Comment vouloir protéger quelque chose que l’on ne connaît pas ? C’est tout l’enjeu du travail d’Anthony Verlaine. 

En espérant que les quelques lignes qui suivent vous apporteront quelques nouvelles connaissances et vous donneront (encore plus) envie d’agir pour l’environnement.

Les conflits liés à l’eau à Las Vegas

Sin City est fondée au milieu du XIXème siècle en plein désert des Mojaves, le plus aride des quatre déserts américains. Paradoxalement, entre les grands hôtels, les casinos, les golfs, les piscines privées et la climatisation incessante, Las Vegas consomme beaucoup d’eau !

“C’est complètement dichotomique, il y a ce stress hydrique et puis les lobbies, les intérêts économiques, les conflits entre les politiciens qui empêchent la cause d’avancer …” nous explique Anthony qui a consacré sa thesis sur le sujet.

Les ingénieurs de Murmuration, la maison mère de Flockeo, nous ont gentiment concocté ce petit gif pour mieux visualiser les problématiques liées à Las Vegas.

Les données satellites nous montrent qu’entre 2001 et 2019, l’urbanisation a augmenté de 31 %. L’une des conséquences de cette expansion est le pic des besoins en eau, notamment dans cette région désertique. Las Vegas dépend du lac Mead, un lac artificiel construit sur le fleuve Colorado, pour environ 90 % de ses besoins en eau. Les ressources du lac sont surexploitées depuis plusieurs années, ce qui entraîne son assèchement progressif. Cette tendance peut être observée grâce à des données satellitaires : entre 2001 et 2019, le lac a perdu 36% de sa couverture d’eau.

Pour assurer sa pérennité, Las Vegas doit revoir son modèle. Depuis vingt ans, des mesures sont imposées à la population pour économiser l’eau. Mais cela suffira-t-il ?

La désertification et le déplacement des populations

La désertification, qu’est-ce que c’est ?

Le Conseil des Nations Unies définit la désertification comme “la dégradation persistante des écosystèmes des zones arides par le changement climatique et principalement les activités humaines […] Quelque 50 millions de personnes pourraient être déplacées au cours des 10 prochaines années en raison de la désertification.”

“J’ai l’opportunité de retourner aux mêmes endroits à 2-3 ans d’intervalle et ce qui me choque vraiment, c’est la vitesse du dérèglement climatique. Des villages que j’avais pu traverser en Namibie en 2019 n’existent plus, soit parce qu’ils sont recouverts d’une dune de 100m de haut avec l’avancée du désert, soit parce que les conditions pour vivre font que toutes les sources sont asséchées, le sol est fissuré... Donc les gens partent dans la capitale ou la ville la plus proche. Je l’ai aussi vu au Moyen-Orient, au Maghreb.

désertification
Désertification ©Canva

L’orpaillage illégal en Amazonie

L’orpaillage, qu’est-ce que c’est ?

L’orpaillage est la recherche d’or dans les rivières aurifères, c’est-à-dire les rivières qui renferment de l’or. Selon la Fédération des opérateurs miniers de Guyane, 90 % de la production d’or en Guyane serait le fait d’une activité clandestine en forêt. Elle correspondrait à une production comprise entre 10 et 15 tonnes d’or par an, pour un chiffre d’affaires de l’ordre de 600 millions d’euros, et serait le fait de 10 000 à 15 000 travailleurs clandestins » (KARPE, 2022). 

Anthony nous raconte son expérience terrain à la frontière entre la Guyane Française, le Suriname et le Brésil. “Des braconniers, des orpailleurs, viennent dans la forêt pour trouver de l’or. Il prennent des zones de 2km sur 2km. En 1 mois, la zone n’existe plus. Ils coupent tous les arbres, mangent tout ce qu’il y a à manger. Des toucans, des oiseaux, des serpents, des jaguars. Tout ce qui est vivant est détruit.

Aussi, pour amalgamer l’or, les orpailleur utilisent des produits chimiques comme le mercure par exemple. En s’infiltrant dans les fleuves, le mercure intègre les chaînes alimentaires aquatiques et contamine les populations locales qui consomment les poissons.

En savoir plus

Au Canada, l’enfer des sables bitumineux

Les sables bitumineux, qu’est-ce que c’est ?

Le Canada est le 4ème plus gros producteur de pétrole mondial (BP – Statistical Review of World Energy 2022 ) dont 97% provient des sables bitumineux. A ciel ouvert ou en profondeur, l’exploitation des sables bitumineux grignote la forêt, empoisonne la rivière Athabasca, pollue l’air, provoque une augmentation du nombre de cancers… Entre autres.

Pour Anthony, ce qui est marquant, c’est que personne n’en parle (ou peu) alors que cette exploitation est une véritable catastrophe écologique et sociale pour les premières nations qui habitent cette région du Canada (pollution de l’eau, poissons contaminés, augmentation des cancers…). En savoir plus.

© Greenpeace, Rezac

Au nord du cercle Arctique, feux de forêts et réchauffement climatique

“Ce qui m’a le plus marqué dans toutes mes expéditions au Nord du Cercle Arctique, au Canada, en Alaska, en Laponie, ce ne sont pas forcément les ours polaires qui descendent de plus en plus au Sud, mais les feux de forêt.”

En principe, ces zones sont dotées de permafrost, c’est à dire un sol gelé. Le dérèglement climatique provoque le dégel de ce permafrost… et rend donc possibles (et fréquents) les feux de forêt. Pendant sa descente du fleuve Yukon l’été 2019, Anthony témoigne en vidéo de cette problématique. En savoir plus.

Komodo et les déchets plastiques

Déchets plastiques dans l’océan ©Canva

A la fin de notre entretien, Anthony nous raconte une histoire vécue sur l’île de Komodo en Indonésie. Une anecdote particulièrement révélatrice du rôle de l’éducation et de la sensibilisation dans le combat pour préserver notre planète. Au petit matin, comme tout bon instagramer qui se respecte, Anthony se lève pour photographier le lever de soleil sur la plage.

“Je vois des centaines de femmes qui arrivent avec d’énormes sacs plastiques sur leurs têtes pour les vider dans l’océan ! J’arrive en courant et je demande pourquoi elles font ça. L’une d’entre elles m’explique que c’est bon pour l’environnement parce que sur les assiettes en plastique, il reste un peu de nourriture pour les poissons et que les verres et les canettes pourront leur servir de maisons. Et en fait, quand on se met à leur place, c’est logique. Ce jour-là j’ai compris qu’on juge avec nos yeux d’Européens à qui on a tout appris. J’ai réalisé que l’éducation c’est vraiment la chose qui pourrait changer les choses dans le monde.”

Voyage, éco-anxiété et changement d’échelle

Anthony nous l’avoue, il est anxieux. Anxieux car en 10 ans de voyage autour du monde, il a pu constater de ses propres yeux les dégradations faites à la planète. Anxieux car chaque été est de plus en plus chaud. Car à Annecy où il réside, l’ISO était la semaine dernière à 2900 mètres, alors “qu’à cette période de l’année, en février, il devait être à 800-900 et que là, de ma fenêtre, je vois à peine la neige en haut des sommets”. 

Anthony est anxieux car il a l’impression que rien ne change dans le bon sens. “J’ai organisé pendant longtemps des collectes de déchets sur les plages. Et puis tu reviens 3 jours après et c’est à nouveau dans le même état.”

Pour Anthony, le passage à l’action se fait désormais plutôt à l’échelle locale car “ça apporte du concret, des changements que l’on voit au quotidien et ça permet d’enlever la frustration de se dire qu’on va changer le monde alors que les décisionnaires, ce sont les politiciens, les grandes entreprises…

Le fait de faire des choses localement, dans ma ville, dans mon département, ça m’a beaucoup aidé à être moins anxieux sur l’avenir. Je n’arrête pas la faim dans le monde mais il y a des choses qui changent un peu à mon échelle. Alors si vous êtes comme moi, engagez-vous !

A l’heure où les influenceurs sont de plus en plus critiqués pour leur non engagement (on se souvient du scandale des influenceurs qui font la promotion des pesticides Bayer lors du salon de l’agriculture 2023), Anthony nous rappelle que l’influence peut aussi servir une cause louable et promouvoir de nouveaux imaginaires de voyages, plus compatibles avec la réalité. 

Bibliographie 

BENAZA Lisa (2020), « L’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta : entre sécurité énergétique et impératifs environnementaux et sociaux », Recherches-Ressources, https://ressnat.hypotheses.org/567

Bp Statistical Review of World Energy (2022, 71ème édition), https://www.bp.com/content/dam/bp/business-sites/en/global/corporate/pdfs/energy-economics/statistical-review/bp-stats-review-2022-full-report.pdf

KARPE Philippe (2022),  « La lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane française », Revue juridique de l’environnement, (vol. 47, no. 1), pp. 9-12. https://www.cairn.info/revue-juridique-de-l-environnement-2022-1-page-9.htm

Géo (2022), « Incendies : Les feux dans l’Arctique menacent de relâcher des quantités “catastrophiques” de CO2 » https://www.geo.fr/environnement/incendies-les-feux-dans-larctique-menacent-de-relacher-des-quantites-catastrophiques-de-co2-212445

Organisation des Nations Unies « La désertification » https://www.un.org/fr/observances/desertification-day/background

Vakita (2023), « Le géant des pesticides Bayer s’offre des influenceurs », https://www.vakita.fr/fr/bayer-influenceur