Et si vous regardiez le monde différemment ? C’est cette invitation que vous propose Le Monde en un Regard . Il s’agit d’une agence de voyages qui conçoit des itinéraires sur mesure, à dimension humaine et durable. Solidement implantée en Inde, l’agence a étendu ses activités dans la région et au-delà. Nous avons échangé avec Pratap Lall, l’un des co-fondateurs de l’agence, de la philosophie qui la guide.

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Une vocation humaniste

Pratap a grandi à Pondichéry (Pondichéry), une région du sud-est de l’Inde qui entretient des relations privilégiées avec la France. Celle-ci était un territoire français jusque dans les années 1950.

Il a été éduqué, comme il l’explique, dans une “forme d’institution différente” ayant suivi la philosophie de Sri Aurobindo. Aurobindo Gosh était un maître philosophe et humaniste. Il avait une vision d’une société vivant en équilibre et en harmonie avec une économie de partage. Cette philosophie est basée sur l’idée selon laquelle la vie ne vous est pas donnée pour consommer mais pour comprendre. Concept que Pratap a intégré lorsqu’il était plus jeune et qui l’a amené à travailler dans le secteur du tourisme. Cela l’a aussi amené à partager cette passion pour l’humanité et tout ce qui l’entoure.

Même dans la boue, vous trouverez un parfum caché. La fleur de lotus pousse dans la boue, un homme ou une femme ira chercher cette beauté avec la fleur de lotus. Il ou elle l’emmènera dans un temple pour en faire une offrande. Et celui qui la regarde ne sait pas qu’elle vient de la boue. Il ou elle le regarde et dit : « Comme c’est beau ! ». Pour moi, c’est ça, voyager !

Pendant plusieurs années, il a travaillé comme guide touristique et a remarqué que l’agence pour laquelle il travaillait ne faisait que du tourisme de consommation de masse. Il n’avait notamment pas eu le temps de visiter les villages où il passait. Il ne pouvait pas non plus se plonger dans la culture des lieux qu’il arpentait avec ses groupes. Lorsqu’il s’est rendu compte que ce n’était pas ce qu’il voulait, il a eu l’opportunité de travailler avec Nouvelles Frontières.

Dans plusieurs groupes d’aventure, il avait alors la liberté de construire un itinéraire, à condition de respecter les dates et le budget. Il envoyait l’itinéraire aux participants pour les en informer préalablement, mais en leur demandant toujours de lui faire confiance. En effet, il est important pour lui d’obtenir cette confiance des visiteurs qui ne connaissent pas le pays. Quand Pratap est sur le terrain, il veut montrer le pays tel qu’il est. Les bons comme les mauvais côtés, mais il souhaite aussi que les visiteurs comprennent les ressorts des meilleurs.

La philosophie derrière Le Monde en un Regard

Sentant qu’il n’avait pas assez de liberté dans les circuits qu’il guidait, Pratap lance avec son ami et associé Gilles Guillot sa propre agence de voyage : Le Monde en un Regard. Le nom de l’agence Le Monde en un Regard est porteur de sens. Il s’agit de voir le monde avec un œil différent. Forte d‘une expertise établie en Inde, l’agence a étendu son offre au Sri Lanka, au Bhoutan ou encore à l’Afrique du Sud et l’Ouzbékistan.

L’agence crée un plan de voyage pour un visiteur ou un groupe qui, par exemple, souhaite se concentrer sur la gastronomie. Alors le voyage inclut alors non seulement la cuisine, mais également d’autres aspects de celle-ci. Notamment, l’apprentissage de la valeur nutritionnelle des aliments locaux, de la botanique, de la vie des agriculteurs et des problèmes auxquels ils se retrouvent confrontés. Lorsque l’on visite, nous ne comprenons pas d’emblée un pays, et alors il est possible de ne pas se sentir à l’aise. C’est pourquoi Pratap communique beaucoup avec ses clients.

© Le Monde en un Regard
Femme confectionnant un panier par Le Monde en un Regard
© Le Monde en un Regard

Avec son agence, ils font énormément confiance à leurs guides et veillent à ce qu’ils soient correctement rémunérés. Ce sont leurs yeux sur le terrain. Ils peuvent alors lui dire : « M. Lall, il y a trois ans, il y a eu des changements dans ce village, il y a une association qui a développé quelque chose d’intéressant… ». Ce n’est en rien un aspect à négliger. Ainsi, l’agence travaille avec des personnes qui partagent les mêmes valeurs, qui respectent les salaires, et travaille aussi avec des associations.

Pratap aime recevoir des retours sur les développements réalisés avec l’argent qu’il investit. Par exemple, l’agence a planifié un voyage avec un médecin français. Celui-ci a ainsi profité de cette opportunité pour construire une clinique dans un village du Gujarat, d’où il est originaire. Dans son plan de voyage, Pratap a inclus la contribution du médecin au budget. En effet, il lui fait confiance et l’accompagne. Ils ont passé trois jours dans une association, découvert le village et écouté leurs besoins. La première demande a été une photocopieuse. Ils l’ont acheté sur place et le médecin a investi le reste de l’argent dans d’autres choses avant de le donner à la petite clinique dans le besoin.

Le choix des partenaires locaux

Lorsque Pratap commence à planifier un itinéraire avec un client, il commence d’abord par lui demander ce qu’il recherche dans un pays.

Ensuite, il choisit toujours des agences avec lesquelles il peut travailler en fonction du type de service qu’elles fournissent. Si il planifie un itinéraire culturel, il va se renseigner via son réseau ou chercher une agence spécialisée dans ce domaine.

Une idée importante pour Le Monde en un Regard est le souhait de faire des visiteurs non de simples spectateurs mais qu’il puissent participer. C’est par exemple le cas avec les festivités locales. Parfois, les visiteurs ne comprennent pas exactement ce qu’il se passe ou comment ils devraient se comporter. C’est pourquoi l’agence s’appuie beaucoup sur leurs guides qu’ils supervisent à distance. Il souligne que les touristes français sont généralement cultivés et ouverts d’esprit. qu’ils peuvent être très critiques chez eux mais très ouverts à l’étranger. Certains oublient même qu’ils sont français au bout d’un moment. Ils veulent être avec les locaux et pour Pratap, c’est génial. “Lorsque vous achetez un itinéraire formaté, vous ne faites que compter les jours parce que vous voulez retourner en France et manger du fromage.”

Leur métier d’agence de voyages est avant tout de faire oublier à leurs clients la France ou qu’ils ne sont pas chez eux. Ce n’est pas leur pays, mais ils doivent se sentir à l’aise. C’est l’objectif de Le Monde en un Regard.

Cérémonie au bord du Gange par Le Monde en un Regard
Cérémonie au bord du Gange © Le Monde en un Regard
Pushkar © Le Monde en un Regard

Comment l’agence s’intègre-t-elle dans le tourisme durable lorsqu’elle opère dans des pays qui pourraient ne pas placer la durabilité au sommet de leurs besoins ?

Selon Pratap, les concepts de durabilité et d’équité sont excellents, mais ils ont un coût. Les gens sont-ils prêts à payer pour cela ? C’est une grande question. 

Le Monde en un Regard essaie d’équilibrer les choses et de mélanger les modes de découverte. Par exemple, les séjours en écolodge peuvent se faire aussi avec des hôtels plus traditionnels. Dans ce cas, ils s’assurent que les établissements sont écoresponsables. Ils demandent à leurs partenaires de vérifier que les propriétés aient des normes en matière de recyclage, de plastique entre autres. Par exemple, un de leurs partenaires récupère les bouteilles d’eau en fin de journée et les transmet à une association avec laquelle ils travaillent pour opérer au recyclage. Autre exemple : ils peuvent demander à leurs partenaires ce qu’ils font des restes de nourriture. Ici, l’agence a plus un rôle pédagogique sur les bonnes pratiques environnementales. Ce n’est pas simple parce que différentes personnes ont souvent des idées différentes sur ce qu’il faut faire.

Ils proposent également un mix en matière de moyens de transport en incluant le train et parfois même la charrette à bœufs. C’est aussi un moyen de sauver un commerce.

Si plus personne n’utilise de char à bœufs, comment le chauffeur va-t-il gagner sa vie ? Nous voulons éduquer, encourager et changer les mentalités. Cela doit venir d’eux.

Piments qui sèchent au Bhoutan par Le Monde en un Regard
Piments qui sèchent au Bhoutan © Le Monde en un Regard

Le Monde en un Regard, une agence différente

Nous avons demandé à Pratap ce qui rendait Le Monde en un Regard différent de leurs pairs. Sa réponse immédiate fut : « Nous prenons le temps ». Prendre le temps et beaucoup discuter avec leurs visiteurs est essentiel. Les voyages sont sur mesure et ils sont suivis de A à Z. Ils ne laissent jamais personne seul. Pour Pratap, c’est une question de confiance.

Même s’il s’agit d’un déplacement pour un particulier, Pratap appellera le chauffeur ou l’agence et vérifiera que tout va bien. Il proposera aussi des lieux à visiter en fonction des intérêts du client. Il vérifie aussi que les visiteurs respectent la population indienne. Ce sont les petites choses qui font la différence. Et quand ses visiteurs reviennent, il ne demande pas si tout s’est bien passé, mais si quelque chose s’est mal passé. Il se doit se demander comment ils peuvent faire mieux. Pour ses visiteurs, le voyage  doit être comme suit : Pratap signifie Inde et Inde signifie Pratap. Mais il a aussi une raison très philosophique à cela.

Vous savez, lorsque vous quittez la maison pour voyager, vous laissez votre cercle énergétique derrière vous. Pour moi, je gère l’énergie de quelqu’un en voyage. Je dois être capable de garder l’énergie de quelqu’un en équilibre.

© Le Monde en un Regard

Mais il y a tellement de choses qu’un agent de voyages peut faire.

Pour lui, l’ouverture doit aller dans les deux sens. Il peut envoyer un visiteur  à l’étranger, faire un excellent programme mais s’il est fermé aux autres, ne parle pas anglais, encore moins hindi, ce ne sera pas agréable. Il doit être prêt à faire les premiers pas pour se rendre là où le guide ou le chauffeur le conduira. C’est le genre de service qu’une petite agence comme Le Monde en un Regard peut offrir.

Une trajectoire lente et raisonnée pour le tourisme du futur

Et qu’en est-il de la reprise post-covid et de l’avenir du tourisme ? Pratap pense que cela prendra du temps.

Les gens ont pris conscience de la situation et cherchent à se rapprocher de la nature, à respecter la nature et les uns les autres. Pratap croit réellement au slow tourisme qu’il a expérimenté auprès de ses partenaires quand il cherchait des hôtels et des itinéraires plus courts dans un rayon de 100 miles pour passer la nuit ou passer trois nuits au même endroit mais faire des excursions d’une journée différentes à partir de là, puis passer à autre chose. C’est du moins ce qu’il prévoit pour des voyages individuels ou en petit groupe. Pour les grands groupes, il n’en est pas si sûr.

En effet, les gens veulent rencontrer les habitants, les artisans, puis participer à la protection de l’environnement et de la culture locale. Mais cela prendra du temps, beaucoup de discussions sur les réseaux sociaux sont en cours sur la façon dont les gens sont fatigués du tourisme de consommation. Mais cela a un prix.

Pratap explique que beaucoup d’investissements sont nécessaires de la part des fournisseurs de services en Inde ou ailleurs. Ils ont commencé à utiliser des bus GPL, à installer des panneaux solaires sur les toits des hôtels et cela a un coût. Il pense qu’il faudra au moins 5 ans avant qu’il n’y ait un bon équilibre entre les tarifs et l’environnement mais il faut bien commencer quelque part. Au début, les voyages durables étaient une préoccupation de la classe supérieure, mais maintenant même la classe moyenne s’y associe. Ce sera une question d’équilibre. Les voyageurs voudront mélanger les séjours au village, les familles d’accueil et les nuits dans des hôtels-boutiques respectueux de l’environnement. L’essentiel pour Pratap est que le tourisme ne détruise pas la vie de ses semblables.

Bébé dans un panier par Le Monde en un Regard
© Le Monde en un Regard

Selon lui,  les villages ont perdu leurs moyens de plaire aux touristes, mais ce ne sont pas les villages qui doivent s’adapter aux touristes, ce sont les touristes qui doivent s’adapter aux villages.